Vive l’amour

Vive l’amour

JardinJ’aime bien la mode. Ça nous change du reste. Aujourd’hui l’amour est à la mode. Remarquez l’amour est toujours un peu à la mode. Mais il en va de l’amour comme des vêtements. C’est la coupe qui change, la couleur et la forme. Pour ceux que ça intéresse, le dernier cri, le dernier chic, c’est l’amour sympa. Fini l’amour romantique, l’amour vache, l’amour tragique, l’amour cynique. Aujourd’hui, le goût est au sympa! D’ailleurs l’amour n’est qu’une des multiples facette du sympa, dont l’hégémonie est désormais indiscutable. Le post post-modernisme a épuisé la longue course au bout de la nuit qui voulait libérer la liberté d’elle-même en la libérant de la liberté, nous revenons à des valeurs simples, mais toutefois épurées de leur charge idéologique ou émotionnelle. Histoire de dire que tout ce travail, toute cette encre, toutes ces paroles, tous ces déhanchements, n’auront pas été en vain.
Ainsi, après une longue purge, propédeutique et salutaire, nous avons finalement découvert le message ultime: le massage californien. Plus qu’un massage, c’est un concept, une épistémologie, une sagesse moderne et posée, une gymnastique relaxante, une lotion adoucissante, une recette universelle et facilement applicable. Gommez l’obscur, il ne restera que le diaphane. Larguez les amarres, vous dériverez à plaisir. Retrouvez, ou conservez, cette merveilleuse enfance. Époque bénie, où alternaient, sans conséquences ni arrière-pensées, peines et plaisirs, larmes et sourires, colères et joies. Sans hiers chargés ni lendemains hypothétiques. Vous viviez de petits riens, dans la douce euphorie de l’instant permanent et de la nouveauté éternelle. Une babiole faisait votre journée, nul besoin de ces projets lourds et sérieux qui imposent à leur porteur une mine grave et ridicule. Vive la jeunesse! Vive la vie!
Alors l’amour sympa, comme son nom l’indique, est sympa. Il se base sur le respect mutuel, qui consiste à prendre l’autre comme il est. Ours ou potiche il est, ours ou potiche vous l’aimerez. Et si vous vous fatiguez des ours ou des potiches, vous trouverez autre chose, un éléphant ou une cruche. Règle numéro un: ne jamais tenter de changer quelqu’un, pas plus que vous n’avez à vous changer vous-même. Toute tentative de ce genre serait considérée comme la plus odieuse manifestation de l’impérialisme individuel. Écoutez vos envies, n’écoutez pas celles de votre voisin; si elles collent c’est bon, si elles ne collent pas, n’hésitez pas, changez de crèmerie. Si l’autre énergumène en face de vous ne vous amuse ni ne vous intéresse plus, bazardez-le, en douceur bien sûr.
Remarquez, c’est sûr que c’est moins pénible que l’amour crampon. Le crampon est mortel! Entre ces amours qui vous aiment quoique vous fassiez, mais qui vous colle comme une sangsue dans le dos, et ceux qui vous aiment tellement qu’ils voudraient que vous soyez bien comme il faut… Les deux ont en commun qu’ils ne cessent de prétendre vouloir votre bien. Ah votre bien! ce qu’ils s’en gargarisent. Le premier veut pour vous tout ce que vous voulez, le deuxième veut pour vous tout ce que vous ne voulez pas, mais bizarrement ils reviennent au même. Dans les deux cas, impossible de discuter. Soit vous avez tellement raison que vous ne savez plus ou vous en êtes, soit vous avez tellement tort que vous ne savez plus qui vous êtes. Dans la plupart des couples, il y a un peu des deux. Vous verrez que le temps se partage entre les moments où l’on imite l’autre et ceux où l’on veut le convaincre d’être comme nous. Le plus drôle de toute cette affaire est que bien souvent l’autre a été inconsciemment choisi parce qu’il est aux antipodes de ce que nous sommes, ce qui favorise l’émergence de grands moments, de confrontations et de pitreries. Mais ça occupe. Tout ça va et vient, on se dispute, on se retrouve, on s’engueule et on s’embrasse, le temps passe et on a l’impression d’accomplir quelque chose, surtout si dans le même processus on a produit quelques enfants au passage.
C’est vrai que l’amour remplit bien. Il donne un sens aux choses, à la vie par exemple. Et en notre époque où tout semble aller si mal, c’est un puissant cataplasme, très efficace, que nous avons découvert. Regardez le nombre de films qui nous raconte l’histoire de pauvres gens qui ont vraiment le monde et leur existence contre eux, mais dont l’histoire s’illumine soudain par ce qu’il reste cette petite émotion qui change tout le reste: l’amour. Une des dernières productions dans le genre est l’histoire d’un gangster qui rate tous ses coups, mais grâce à l’amour, l’espoir d’une vie meilleure ne l’abandonne pas. On s’aperçoit ainsi que plus les choses vont mal, plus l’amour est utile. Il aide à tout accepter, surtout le pire.
Alors si on pouvait arriver à aimer tout le monde, il serait formidable ce monde. Il se teinterait à jamais d’une inébranlable, limpide et éternelle lueur bleu ciel. Un peu comme sur les tableaux idylliques que nous présentent les dessins animés japonais, lorsque les horribles monstres sont absents ou vaincus, et que les gentils et juvéniles héros sourient, jouent et parlent doucement avec les animaux. Évidemment, les éternels grincheux se plaindront d’une telle perspective. Ils nous dénonceront en disant qu’aimer tout le monde implique en réalité de n’aimer personne. Car un amour qui n’est pas incarné, individualisé, un amour qui ne plonge pas ses petites pattes dans le quotidien, la lutte, le frottement, l’usure et le tragique, n’est pas de l’amour mais du sirop d’orgeat.
Peut-être. En tout cas, pour remonter le moral aux amoureux de l’amour, nous pouvons leur annoncer, s’ils ne le savent déjà, qu’il n’y a pas qu’au cinéma et à la télé que l’amour est important. Il existe encore une culture écrite de l’amour. Comme au temps des troubadours. Un des plus gros éditeurs au monde ne fait que ça des histoires d’amours, bien concrètes. Des docteurs et des infirmières, des patrons et des secrétaires, des stars et des jardiniers, etc. Et tout ça en plein de langues. Il Ce polichinelle de l’édition devrait faire de la pub pour ses bouquins à la télé, pendant les débats politiques, ou au milieu des nouvelles. Guerre ici, catastrophe là, mais il y a l’amour, toujours l’amour! . L’amour efface tout, l’amour gomme tout, l’amour décape tout!, l’amour plus fort que tout. Plus fort qu’Ajax ammoniaqué et Super glue réunis.
Je connais un philosophe qui dit que l’amour n’existe pas. A défaut d’autre chose, ca sonne bien comme idée. Ça fait très philosophe. Très contre l’opinion. D’après lui l’amour est un sentiment confus qui regroupe deux sentiments: l’altruisme et le désir de l’autre. Le seul problème avec ce couple là, comme avec tant d’autre c’est qu’il est terriblement contradictoire. Car on ne désire pas l’autre pour son bien, pas plus qu’un ne désire un hamburger pour le rendre meilleur. Le sentiment amoureux et l’état fébrile où il nous plonge correspond à la brutale confrontation entre ces deux tendances, conflit qui se résout dans le temps, par la simple consommation du partenaire. Un peu comme la mante religieuse.
En fin de compte, nous sommes tous intarissable sur ce thème. Et qui que nous soyons, nous oscillons généralement entre «Je n’en veux pas, mais j’y gouterai bien quand même» et «Ce n’est pas terrible mais vous m’en remettrez une louche».