Pratique philosophique et art martial (Aikido)

Pratique philosophique et art martial (Aikido)

 Je ressens cette discipline proche de l’aikido

Exigeante, terrassante, bousculant les idées reçues, terrible, paradoxalement facile, bienveillante, constructive.

Tangi

OB : La bienveillance n’est bienveillante que parce qu’elle est âpre et sans concession.

« Ce séminaire a été l’occasion d’une expérience inédite. Maintenant que La Voie est ouverte, je vais continuer à la suivre, à la poursuivre et essayer de ne pas me perdre en chemin, quoi que…

Cependant, oh là-là… qu’est-ce qu’elle va dire celle-là… je tiens à partager un point qui m’a dérangé. J’ai trouvé les intervenants parfois «  non à l’écoute » de l’auditoire et contradictoires dans leurs propos. Par exemple, un silence prolongé de la part d’un participant ne signifie pas toujours qu’il se donne un temps de réflexion pour « baratiner ». Il est parfois là pour signifier qu’il a besoin de temps pour gérer ses émotions. Je comprends bien que philosophie n’est pas psychanalyse mais, à partir du moment où une intervention fait appel aux émotions, il faut bien s’attendre à ce qu’elles surgissent. Dans ce cas, il est judicieux de voir quand il faut laisser du temps au participant sans que ce soit à lui de le prendre.

A contrario, une réponse à une question peut-être spontanément rapide au vue du contexte. En effet, les participants étant à l’écoute, une réponse dès la fin de l’énoncé de celle-ci peut survenir à propos.

Ceci dit, merci à tous pour ce week-end qui, j’espère, restera au moins pour une petite partie, inscrit dans ma mémoire… je sais que je ne sais pas ».

Nadège

 

OB : Les inepties des intervenants sont constitutives de la pratique elle-même. Si leurs interventions étaient raisonnables, pondérés et prévisibles, ils ne rempliraient pas leur fonction nécessairement disruptive. C’est d’ailleurs le plus difficile dans la formation à la pratique philosophique : l’art de dire des bêtises, de les entendre, et d’en jouir. Il n’y a donc rien à perdre, ni à regretter. Il ne reste qu’à trouver du sens à l’arbitraire, c’est-à-dire tenter de penser l’impensable.

Une pratique philosophique est une expérience intense nécessitant une disposition d’esprit martiale : adaptation, agilité, disponibilité et écoute (de soi et des autres), de tous les instants.

Cependant j’ai eu la sensation que la dimension relationnelle mise en place dans nos pratiques martiales, grâce à des règles explicitées, des temps aménagés suivant des rythmes variables en fonction du groupe, des individus et de l’objectif visé, semblait absente (Ces règles facilitent pourtant une prise de distance et une possibilité de retour, individuelle et collective, sur des expériences souvent fortes. Et elle génère un sentiment de confiance envers soi et les partenaires, permettant à tous, quelque soit son niveau, de s’engager et de s’investir dans la pratique).

Une expérience à réinvestir immédiatement dans nos vies quotidiennes et pratiques martiales.

Little ( Stéphane)

 

OB : Ne jamais se soucier d’autrui est une règle d’or de la pratique philosophique, tel que je l’entends en tout cas. Il n’y a pas à faciliter l’engagement, mais uniquement  à s’assurer que quelque chose se passe, qui empêche l’endormissement, ou garantit le réveil.

 

 

Je vous livre mon point de vue de pratiquant, d’enseignant d’arts martiaux et de méditant

De la vitesse

Au cours de quelques-uns des ateliers, j’ai pu observer un mécanisme. Ce dernier permet de prendre l’ascendant psychologique sur celui qui se trouve questionné mais ne permet pas qu’un climat de confiance s’installe au sein du groupe. L’intervenant a son temps propre et en impose un autre à son interlocuteur. De cette façon, la personne interrogée se voit rappelée à l’ordre parce qu’elle va trop vite ou trop lentement, parce qu’elle essaie de placer une question ou un argument dans un espace qu’elle croit déceler, marque une pause afin de se reprendre… l’animateur, lui, procède, en même temps qu’à des ruptures de cadences, à un mécanisme d’étouffement de son interlocuteur.

Ainsi l’intervenant va vite, plus vite que son interlocuteur, bondit, se précipite même. La personne questionnée, elle, se voit imposée une vitesse, puis une autre, elle est rappelée à l’ordre car semble se débattre et finalement perd ses repères pour faire le jeu de l’intervenant (ou le refuser).

Asuchi, casser le rythme, la cadence de l’adversaire, est le principe martial appliqué ici.

OB : Le concept d’Asuchi semble ici approprié. Il s’agit de renvoyer la personne à elle-même : elle est empêché par ses propres craintes, ses propres désirs, sinon, elle ne saurait être déstabilisée. Autrement dit, de fait, la personne qui étouffe s’étouffe elle-même.

Des règles du jeu

La pratique, qu’elle soit martiale ou philosophique, est un jeu. Il faut alors en énoncer les règles ou les découvrir en jouant. Mais quand les joueurs se sentent menacés et ne découvrent les règles qu’au fur-et-à-mesure, où découvrent qu’il existe des « jokers » (les temps morts), ils ne peuvent alors accorder leur confiance à l’animateur de l’atelier et refusent de se dévoiler quand on leur demande les raisons intimes de tel ou tel comportement. Les intervenants ne peuvent donc savoir si l’hypothèse qu’ils ont émise est validée ou si quelque chose leur a échappé.

De la même façon, dans les Budo, le pratiquant peut voir son image, ses croyances, son intégrité physique être mis en danger. Il est important alors de placer les règles du jeu afin que le climat de confiance s’installe. La confiance installée, il est alors facile de jouer avec les règles, de justifier telle ou telle mise en danger du soi. Les pratiquants peuvent être amenés bien plus loin que ne laissait supposer les qualités initiales de chacun. Comme le groupe était très hétérogène ce week-end, j’ai dû aller lentement, expliquer les règles et porter un regard différent sur chaque individu afin qu’aucun ne se sente exclu.

OB : Deux principes s’opposent ici : un principe pédagogique et un principe de miroir. C’est l’enjeu que l’on retrouve dans la distinction ou opposition entre principe du satori lent et principe du satori subit. Le premier cherche à établir la confiance et se soucie de pédagogie, le second se soucie avant tout de créer un effet, libre à l’élève de comprendre ou ne pas comprendre. Le premier est plus généreux, il entoure l’interlocuteur, le protège. Le second est plus confiant : c’est pour cela qu’il ne cherche pas à instaurer la confiance.

Du Syndrome du radiateur

Les mauvais élèves y siègent, sa douce chaleur les réconfortent… un exemple

Un des participants se tait et semble perdu, on lui demande « as tu compris la consigne » ? et il ne comprend pas même cette question. Il s’embrouille, etc. on finit par lui proposer : « tu préfères être qualifié « d’étranger » ou « d’autiste » ? A défaut, il choisit « étranger » et on lui fait alors remarquer que c’est normal qu’il préfère choisir ce qui le dérange le moins et on passe à la suite de l’atelier. Les animateurs valident de cette façon « l’autisme » du participant qui se trouve exclu du groupe des valides cérébraux.

La suspicion naît au sein du groupe, la déception est visible. Je pense qu’il aurait été judicieux de lui offrir un « traducteur » ou de revenir de temps en temps en arrière afin de lui permettre de comprendre, nous y aurions gagné un pratiquant car son désir de participer au séminaire était réel. Les intervenants voulaient montrer que l’être humain préfère toujours être flatté plutôt que mis en face de sa réalité mais le cas et le moment ne convenait pas. Ses difficultés à comprendre et à utiliser le langage n’était pas une impossibilité à communiquer. La démonstration n’en était pas une.

OB : Il ne s’agit pas de démontrer, mais de saisir, d’interpeller. Peu importe dans l’absolu le contenu de l’échange. Il est des moments ou la production de dissonances cognitives est plus importante que la transmission d’informations ou la découverte d’un contenu.

De la méditation

Qu’est ce que méditer ? Pourquoi ?, Comment ? … Pour reprendre le discours sophrologique, il s’agit de changer d’état et de niveau de conscience. Pour cela, et si la méditation est guidée, il convient de placer sa voix (en interpellant quelqu’un par son prénom pendant la méditation, c’est potentiellement tout le monde que l’on sort de la méditation), et de choisir ses mots (par exemple : une montagne n’illustre pas la rectitude mais la stabilité), de mesurer justement les temps de silence et pour cela, il faut que celui qui guide la méditation la vive. J’ai donc apprécié l’initiative mais ne suis pas étonné des ressentis «  embarras », « fatigue », ou « tendu ».

OB : Toute tâche digne de ce nom engendre nécessairement une forme ou une autre de déception. C’est en fait une déception de soi, tout à fait salutaire. C’est parce que nous pouvons être ennemi de nous-même et jouir de cette inimitié que nous pouvons être un ami digne de ce nom.

Tracer le chemin

Au cours du séminaire, les pratiquants philosophes cheminent..

Les «  je ne sais pas » ont été petit à petit abandonnés sur le bord du chemin. Pour savoir que l’on ne sait pas, il faut prendre position, avancer une hypothèse, oser opter pour un argument plutôt qu’un autre, prendre un risque, savoir faire machine arrière, la voie semble tortueuse.

Certains ont trouvé/retrouvé une voix. Étonnamment, c’est en s’excentrant, en sortant de soi que l’on se surprend à avoir une voix.

Les problèmes ont été identifiés, la confusion, la complication notamment ont été dévoilées.

Les mensonges faits à soi-même se sont trahis. Il y eut trahison ! Et pourtant ce ne sont pas le métalangage, le corps qui trahissent, ils disent vrai et sans détour à qui sait lire et écouter.

Quand il s’agit de tracer la voie, ce qui résiste est soit contourné, soit abattu. En défricheurs, nous nous saisissons de nos outils : l’argumentation, le questionnement et… l’humour. Et à force de tailler ce qui résiste, la voie s’est ouverte, nul ne peut prédire son tracé. Charge à chacun de cultiver une forme de perspectivisme salutaire… on change de perspective et soudain, on sait quel outil aiguiser et ce qu’il faut défricher.

OB : La trahison est principe de vérité. Là se trouvent à la fois sa substance et son inconfort. La surprise, l’incongruité, la déstabilisation, nous mettent à l’épreuve. Tous voient, mais à chacun de décider, volontairement ou non, s’il préfère percevoir ou ne pas percevoir.