Principes de la pratique philosophique

Peut-on parler de pratique philosophique ?

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Le concept de pratique est en général étranger au philosophe d’aujourd’hui, presque exclusivement un théoricien. Le mot même le dérange. En tant que professeur, son enseignement porte principalement sur un certain nombre de textes écrits, dont il doit transmettre la connaissance et la compréhension à ses élèves. Son principal centre d’intérêt sera l’histoire des idées, et son activité favorite l’art de l’interprétation. Une faible minorité d’enseignants ou de spécialistes s’engagera dans la spéculation philosophique écrite. Dans ce contexte, de manière récente, quelque peu en rupture avec la tradition, de nouvelles pratiques émergent, ouvertes au grand public, qui s’intitulent pratiques philosophiques, consultations philosophiques, philosophie pour enfants ou autres, pratiques qui se voient contestées vigoureusement ou ignorées par l’institution philosophique. Cette situation pose les deux questions suivantes, que nous traiterons dans cet ordre. La philosophie est-elle seulement un discours ou peut-elle avoir une pratique ? Qu’est-ce qui constitue une démarche philosophique ?

Bien entendu, nous admettrons ici la partialité de notre engagement philosophique en distinguant au sein de l’activité philosophique quatre différentes modalités, souvent considérées de manière indistincte. Ainsi nous distinguerons l’attitude philosophique, le champ philosophique, les compétences philosophiques et la culture philosophique. Bien que ces différents aspects ne puissent être radicalement séparés, disons simplement pour l’instant que la culture, ou connaissance de la parole d’autorité, tend de manière générale dans l’approche occidentale moderne à prendre le pas sur les autres fonctions philosophiques, tandis que nous privilégierons à la fois l’attitude philosophique et les compétences philosophiques, sur lesquelles nous tenterons brièvement de donner un aperçu.
Nous terminerons notre propos par quelques éléments sur l’idée d’atelier philosophique.

I – La matérialité comme altérité

Une pratique peut être définie comme une activité qui confronte une théorie donnée à une matérialité, c’est-à-dire à une altérité. La matière étant ce qui offre une résistance à nos volontés et à nos actions. Premièrement, la matérialité la plus évidente du philosopher est la totalité du monde, incluant l’existence humaine, à travers les multiples représentations que nous en avons. Un monde que nous connaissons sous la forme du mythe (mythos), narration des événements quotidiens, ou sous la forme d’informations culturelles, scientifiques et techniques éparses, de nature factuelle ou explicative (logos). Deuxièmement, la matérialité est pour chacun d’entre nous “l’autre”, notre semblable, avec qui nous pouvons entrer en dialogue et en confrontation. Troisièmement, la matérialité est la cohérence, l’unité présupposée de notre discours, dont les failles et l’incomplétude nous obligent à nous confronter à des ordres plus élevés et plus complets d’architecture mentale.
Avec ces principes en tête, inspirés par Platon, il devient possible de concevoir une pratique qui consiste en des exercices mettant à l’œuvre la pensée individuelle, dans des situations de groupe ou singulières, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école. Le fonctionnement de base, à travers le dialogue, consiste d’abord à identifier les présupposés à partir desquels fonctionne notre propre pensée, ensuite à en effectuer une analyse critique, puis à formuler des concepts afin d’exprimer l’idée globale ainsi enrichie. Dans ce processus, chacun cherche à devenir conscient de sa propre appréhension du monde et de lui-même, à délibérer sur les possibilités d’autres schémas de pensée, et à s’engager sur un chemin anagogique où il dépassera sa propre opinion, transgression qui est au cœur du philosopher. Dans cette pratique, la connaissance des auteurs classiques est très utile, mais ne constitue pas un pré-requis absolu. Quels que soient les outils utilisés, le défi principal reste l’activité constitutive de l’esprit singulier.

a – L’altérité comme mythos et logos

Comment vérifier des idées données sur tous les petits mythos de la vie quotidienne, sur les morceaux plus ou moins éclatés de logos qui constituent notre pensée ? Le problème avec la philosophie, comparée à d’autres types de spéculation, est que le sujet pensant ne mesure pas réellement sa propre efficience sur une véritable altérité, mais sur lui-même. Bien que l’on puisse objecter que le physicien, le chimiste, ou encore plus le mathématicien, sont enclins à camoufler leur subjectivité, déguisée en constatation objective. Mais admettons que ce problème s’aggrave dans la pratique philosophique, puisque l’idée particulière qu’il doit mettre à l’épreuve en la confrontant à ses mythos et logos personnels, est elle-même engendrée par ces mythos et logos personnels, ou intimement entrelacée à eux. De plus, comme pour la science “dure” qui parfois change la réalité, soit en agissant sur elle à travers des hypothèses innovantes et efficaces, soit en transformant simplement la perception, la “nouvelle” idée particulière du philosophe peut altérer le mythos ou le logos qui occupent son esprit. Le problème posé par ces deux processus, est qu’il existe une tendance naturelle de l’esprit humain à se déformer afin de réconcilier une idée spécifique avec le contexte général dans laquelle elle intervient, soit en minimisant cette idée spécifique, soit en minimisant l’ensemble du mythos et du logos établis, soit encore en créant une barrière entre eux pour éviter le conflit. Cette dernière option est la plus commune, car elle permet d’éviter, en apparence, le travail de la confrontation ; phénomène qui explique le côté “marqueterie mal jointe” de l’esprit humain, selon l’expression de Montaigne.
Heureusement, ou malheureusement, la douleur provoquée par l’absence de cohérence ou d’harmonie de l’esprit (similaire à la douleur provoquée par la maladie qui exprime les dissonances du corps) nous oblige à travailler cette dissension, ou à porter une armure pour nous protéger, pour oublier le problème afin de minimiser ou occulter le désagrément. Cet oubli a toute l’efficacité d’un analgésique, mais aussi les inconvénients d’une drogue. La maladie est encore là, se renforçant puisque nous ne la traitons pas.

b – L’altérité comme “l’autre”

Passons au second type d’altérité : “l’autre” sous la forme d’un autre esprit singulier. Ce dernier a un premier avantage sur nous : il est le spectateur, plutôt que l’acteur que nous sommes ; les ruptures et divergences de notre propre système de pensée ne lui causent pas a priori de douleur. Contrairement à nous, il ne souffre pas de nos incohérences, en tout cas pas de manière directe, sauf à travers une sorte d’empathie. Pour cette raison, il est mieux placé que nous pour identifier les conflits et contradictions qui nous minent. Bien qu’il ne soit pas un pur esprit : ses réponses et analyses seront affectées par ses propres bogues et virus, par ses propres insuffisances. En dépit de cela, étant moins impliqué que nous dans notre affaire, il pourra poser un œil plus distant sur notre processus de pensée, avantage certain pour nous examiner de manière critique et non défensive, bien que l’on doive se garder d’attribuer une quelconque toute-puissance à cette situation ; toute perspective particulière souffrant nécessairement de faiblesses et d’aveuglements. Ce peut être par manque de compréhension de la pensée de l’autre, ou bien par crainte de l’autre, ou encore à cause de la complaisance induite par le manque d’intérêt pour l’autre, et même l’empathie s’avère ici dangereuse, qui menace d’engluer deux êtres l’un dans l’autre.

c – L’altérité comme unité

La troisième forme d’altérité est l’unité du discours, l’unité du raisonnement. Nous postulons ici la présence d’un “anhypothétique”, selon Platon, l’affirmation d’une hypothèse aussi incontournable qu’inexprimable, unité transcendante et intérieure dont nous ignorons totalement la nature propre, bien que sa présence s’impose à travers ses effets sur nos sens et notre compréhension. L’unité ne nous apparaît pas en tant que telle, comme une entité évidente, mais à travers une simple intuition, désireuse de cohérence et de logique. Point de fuite niché au sein d’une multiplicité d’apparences, qui cependant guide notre pensée et reste une source permanente d’expériences cruciales, pour notre esprit et celui des autres, sauvant nos esprits de l’abîme obscur et chaotique, de la multiplicité indéfinie et du tohu-bohu, pénible chaos qui trop souvent caractérise les processus de pensée, les nôtres et ceux de nos semblables. Les opinions, les associations de pensées, les simples impressions et sentiments, chacun d’entre eux régnant sur son petit monde immédiat, rapidement oubliés lorsqu’ils traversent les frontières étroites d’espace et de temps qui les attachent à un territoire microscopique. Pauvres et pathétiques éphémères, qui aussi réels soient-ils, tentent de se maintenir, faibles et impuissants, dans le brouhaha de processus mentaux déconnectés, essayant en vain d’être entendus, tandis que l’écho reste silencieux et désespérément muet. À moins de résonner sur fond de cette mystérieuse, généreuse et substantielle unité, toute idée particulière sera condamnée à une fin prématurée et soudaine, révélant à toute conscience le vide de son existence. Le seul problème, ici, est précisément que cette conscience est tragiquement absente, car sa présence, liée à l’unité en question, aurait déjà radicalement transformé la mise en scène. L’unité de notre discours est donc ce mur intérieur, à la fois rempart, appui et butée, dont nous ignorons toujours la nature essentielle. Elle est l’autre en nous, l’autre qui, d’une certaine manière, est en nous plus nous que nous-même.

II – Qu’est-ce que philosopher ?

En résumé, l’activité pratique philosophique implique de confronter la théorie à l’altérité, une vision à une autre. Elle implique la pensée sous le mode du dédoublement, sous le mode du dialogue, avec soi, avec l’autre, avec le monde, avec la vérité. Nous avons défini ici trois modes à cette confrontation : les représentations que nous avons du monde, sous forme narrative ou conceptuelle, “l’autre” comme celui avec qui je peux m’engager dans le dialogue, l’unité de pensée, comme logique, dialectique ou cohérence du discours. Dès lors, qu’est-ce que la philosophie, lorsque cruellement et arbitrairement nous lui enlevons son costume pompeux, frivole ou décoratif ? Que reste-t-il une fois que nous l’avons déshabillée de son soi souvent autoritaire, hypertrophié et de son trop de sérieux ? Autrement dit, au-delà du contenu culturel et spécifique qui en est l’apparence, généreuse et parfois trompeuse – si tant est que nous pouvons faire l’économie de cette apparence – que reste-t-il à la philosophie ?

En guise de réponse, nous proposerons la formulation suivante, définie de manière assez lapidaire, qui pourra paraître comme une paraphrase triste et appauvrie de Hegel, dans le but de se concentrer uniquement sur l’opérativité de la philosophie en tant que productrice de concepts, plutôt que sur sa complexité. Nous définirons l’activité philosophique comme une activité constitutive du soi déterminée par trois opérations : l’identification, la critique et la conceptualisation. Si nous acceptons ces trois termes, au moins temporairement, le temps d’en éprouver la solidité, voyons ce que ce processus philosophique signifie, et comment il implique et nécessite l’altérité, pour se constituer en pratique.

a – Identifier

Comment le moi que je suis peut-il devenir conscient de lui-même, à moins de se voir confronté à l’autre ? Moi et l’autre, mien et tien, se définissent mutuellement. Je dois connaître la poire pour connaître la pomme, cette poire qui se définit comme une non-pomme, cette poire qui définit donc la pomme. De là l’utilité de nommer, afin de distinguer. Nom propre qui singularise, nom commun qui universalise. Pour identifier, il faut postuler et connaître la différence, postuler et distinguer la communauté. Dialectique du même et de l’autre : tout est même et autre qu’autre chose. Rien ne se pense ni n’existe sans un rapport à l’autre.

b – Critiquer

Tout objet de pensée, nécessairement engoncé dans des choix et des partis pris, est de droit assujetti à une activité de critique. Sous la forme du soupçon, de la négation, de l’interrogation ou de la comparaison, diverses formes d’une problématique. Mais pour soumettre mon idée à une telle activité, je dois devenir autre que moi-même. Cette aliénation ou contorsion du sujet pensant en montre la difficulté initiale, qui en un second temps peut d’ailleurs devenir une nouvelle nature. Pour identifier, je pense l’autre, pour critiquer, je pense à travers l’autre, je pense comme l’autre ; que cet autre soit le voisin, le monde ou l’unité. Ce n’est plus l’objet qui change, mais le sujet. Le dédoublement est plus radical, il devient réflexif. Ce qui n’implique pas de “ tomber ” dans l’autre. Il est nécessaire de maintenir la tension de cette dualité, par exemple à travers la formulation d’une problématique. Et tout en tentant de penser l’impensable, je dois garder à l’esprit mon incapacité fondamentale de m’échapper véritablement de moi-même.

c – Conceptualiser

Si identifier signifie penser l’autre à partir de moi, si critiquer signifie me penser à partir de l’autre, conceptualiser signifie penser dans la simultanéité de moi et de l’autre. Néanmoins, cette perspective éminemment dialectique doit se méfier d’elle-même, car aussi toute-puissante se veuille-t-elle, elle est également et nécessairement cantonnée à des prémisses spécifiques et des définitions particulières. Tout concept entend des présupposés, une construction particulière, un contexte. Un concept doit donc contenir en lui-même l’énonciation d’une problématique au moins, problématique dont il devient à la fois l’outil et la manifestation. Il traite un problème donné sous un angle nouveau. En ce sens, il est ce qui permet d’interroger, de critiquer et de distinguer, ce qui permet d’éclairer et de construire la pensée. Et si le concept apparaît ici comme l’étape finale du processus de problématisation, affirmons tout de même qu’il inaugure le discours plutôt qu’il ne le termine. Ainsi le concept de “ conscience ” répond à la question “ Un savoir peut-il se savoir lui-même ? ” , et à partir de ce “ nommer ”, il devient la possibilité de l’émergence d’un nouveau discours.

III – L’atelier de philosophie       10301117_10202892402603538_1231232811367896389_n

Deux notions sont indissociables du concept d’atelier : l’exercice ou pratique, et la production. Un troisième, qui sans être obligatoire, a aussi son importance : le collectif. En cela l’atelier philosophique se distingue de deux autres types d’activités philosophiques. D’une part le cours ou la conférence, dans lequel un maître dispense son savoir à des auditeurs ou à des élèves, et la discussion, sur le modèle du débat citoyen ou du café-philo, où les interventions se succèdent tous azimuts au gré des participants et des animateurs. Comme pour toute tentative de schématisation, de telles catégories ne servent que de points de repère, car selon les lieux et les individus, les appellations et les fonctionnements varieront selon toute une gamme de nuances procédant de la continuité plutôt que du discret. Il est en effet des cours ou des cafés-philo qui ressemblent à des ateliers, et vice-versa. Il est aussi des animateurs qui ressemblent à des professeurs et des professeurs qui ressemblent à des animateurs. Risquons-nous toutefois à élaborer quelque peu cette spécificité théorique de l’atelier.

Comme dans un atelier de peinture, dans l’atelier philosophique tout participant se doit de travailler, ou tout au moins est fortement encouragé à s’engager. Le principe d’observateur ou d’auditeur n’est guère de mise. En cela il se distingue du cours et de la discussion, où pour des raisons différentes nul n’est tenu à une participation active. Par exemple, si le nombre s’y prête, un tour de table se tiendra sur un problème donné. Ou bien tout participant pourra en interpeller un autre ou le questionner sans que ce dernier ne se rebiffe, quitte à avouer son incapacité ou sa difficulté à répondre, ce qui fait partie intégrante – voire importante – de l’exercice. C’est en ce sens que cette activité se définit comme une pratique ou un exercice. Chacun vient sur le terrain pour jouer ou accomplir sa part de l’ouvrage, non pour regarder les autres. Bien entendu, l’animateur, responsable de cet engagement effectif, devra en cela agir de manière suffisamment subtile pour ne pas effrayer ceux qui éprouvent encore une certaine réticence à approcher le ballon.

Comme dans l’atelier de peinture, il s’agit de produire. Produire, dans le sens où l’on se confronte à une matérialité, dans le but d’un résultat. Mais la matérialité de l’activité philosophique n’est pas la couleur et sa texture. Elle est la pensée individuelle, à travers sa représentation orale ou écrite. Chacun se confronte d’abord à ses propres représentations du monde, ensuite à celle de l’autre, et enfin à l’idée d’unité ou de cohérence. De cette confrontation jaillissent de nouvelles représentations, sous forme conceptuelle ou analogique. Ces représentations émergeantes se doivent d’être articulées, soulignées, comprises par tous, travaillées et retravaillées. En cela, à nouveau, l’atelier se distingue du cours et de la discussion. Car dans le cours, les concepts sont préparés à l’avance : ils sont souvent codifiés, estampillés en référence à des auteurs et à l’histoire de la philosophie. Et dans la discussion, le mouvement de la pensée glisse, n’insiste pas, ne cherche pas en permanence à revenir sur lui-même, à moins que cela se produise arbitrairement. Sur cette dernière distinction repose sans doute le rôle plus appuyé, voire plus contraignant de l’animateur dans le cadre d’un atelier. Ainsi l’atelier s’insère plus naturellement dans l’activité de classe – entre autres le cours de philosophie – que la simple discussion, plus libre et informelle, aux enjeux didactiques moins explicites.
Nous l’aurons compris : l’atelier philosophique tend à avoir des règles de fonctionnement plus spécifiques et formalisées que celles de la discussion. Ces règles doivent être explicitées, puisqu’elles concernent le fonctionnement d’un groupe, et non pas celui d’un individu seul, comme lors d’une conférence. Les règles du jeu peuvent être innombrables, et sont de fait très variées. Il n’existe donc pas d’exemple type, d’autant plus que dans le domaine de la philosophie, très théorique malgré tout, chacun trouve toujours à redire sur le travail du voisin. Mais à titre d’exemple, décrivons brièvement quelques mises en scène utilisées comme modus operandi d’un atelier philosophique.

a – Questionnement mutuel.

Une question d’ordre général est posée. Une première hypothèse de réponse, relativement courte, est offerte par un participant. Puis, avant de passer à une autre, ses collègues sont invités à le questionner, afin d’éclaircir les points obscurs et résoudre les contradictions. Mais les interventions sont surveillées par l’ensemble du groupe, qui doit déterminer si les questions sont véritablement des questions, ou des affirmations plus ou moins déguisées ; toute question déclarée “fausse” à la majorité du groupe sera refusée. Car tout nouveau concept doit émaner du porteur d’hypothèse et non pas des questionneurs. Chaque participant est ainsi obligé d’entrer dans le schéma du voisin, en laissant de côté, temporairement, ses propres opinions. Principe qui permet de développer en commun l’hypothèse initiale, dont l’initiateur est le garant. C’est lui qui, pressé par les questions reçues, développera son hypothèse, la reformulera, ou même l’abandonnera si au fur et à mesure de la discussion si elle vient à lui paraître intenable. Puis une nouvelle hypothèse est proposée par un autre participant, et le processus recommence. Le résultat final est de problématiser la question initiale, en comparant ces diverses lectures, en mettant au jour leurs enjeux et leurs concepts forts, réalisant ainsi ce que l’on pourrait nommer une dissertation collective.

b – Exercice de la narration.

Une question d’ordre général est posée. Mais au lieu de la traiter par des considérations abstraites, les participants sont invités à présenter une narration courte, fictive ou réelle, inventée ou tirée d’une œuvre quelconque, qui pourrait servir de cas d’école afin d’étudier la question posée. Plusieurs histoires – cas d’école – sont proposées, qui sont comparées par les participants, en argumentant leur intérêt respectif pour traiter le sujet. Puis un vote du groupe choisit une seule de ces histoires, qui sera analysée plus en profondeur. Le narrateur est alors questionné par ses collègues. D’abord sur les données factuelles de la narration, afin de travailler l’objectivité du contenu. Puis sur l’analyse conceptuelle qu’il en donne, dont l’énoncé devrait permettre de traiter la question initiale. Les autres participants peuvent ensuite soumettre une nouvelle lecture de cette narration, en précisant les enjeux philosophiques comparatifs de leur propre lecture. Le produit final de cet exercice est à nouveau une problématisation de la question initiale, grâce à un certain nombre de concepts et d’idées qui ont émergé au fil de la discussion.

c – Travail sur texte.

Un texte est distribué aux participants, court extrait d’une œuvre philosophique, littéraire ou autre. Une lecture à haute voix est effectuée par un volontaire. Tous sont ensuite invités à exposer une analyse du texte, qui devra se conclure par une phrase courte censée capturer l’intention principale de l’auteur. La première interprétation sera discutée par l’ensemble des participants avant de passer à une autre. Des questions seront posées, portant à la fois sur le sens de cette interprétation et sur son accord avec le texte. Des citations précises pourront être exigées afin d’en légitimer l’articulation. De nouvelles interprétations seront développées, qui subiront un semblable traitement. En un second temps, des critiques du texte pourront aussi être formulées. Les enjeux philosophiques de ces différentes lectures devront alors être précisés, afin d’analyser les présupposés de chacune d’entre elles, permettant de mieux saisir les différences conceptuelles, souvent importantes. Le produit final est la problématisation d’un texte initial, au moyen des différentes interprétations offertes et travaillées. Précisons qu’un travail semblable peut être réalisé autour d’un texte écrit par un des participants.

Tous philosophes ?

Identifier ce qui est nôtre. Se rendre capable d’une analyse critique de cette identité. Dégager de nouveaux concepts afin de prendre en charge la tension contradictoire qui émerge de la critique. De manière assez abrupte, qu’il reste à développer en d’autres lieux, disons que ces trois outils nous permettront de confronter l’altérité qui constitue la matière philosophique, matière sans laquelle il ne serait pas possible de parler de pratique philosophique. Une pratique qui consiste à s’engager dans un dialogue avec tout ce qui est, avec tout ce qui apparaît. À partir de cette matrice, il n’est de catégorie d’êtres humains qui ne puisse tenter à différents degrés de philosopher, de s’engager dans une pratique philosophique.