Séminaire de philosophie pratique ou « Comment mieux penser pour mieux agir »
Séminaire de philosophie pratique ou « Comment mieux penser pour mieux agir »
Par Fazia Chaouche
Intriguée par cet envoi, intéressée par le programme annoncé (« Durant ce séminaire, qui se déroulera à Argenteuil (Val d’Oise), nous travaillerons les enjeux et le fonctionnement de la pratique philosophique, en tant qu’outil d’approfondissement de la pensée et de l’analyse critique. À travers de nombreux exercices, il s’agira de mettre en œuvre et d’identifier les diverses compétences philosophiques : analyser, synthétiser, argumenter, exemplifier, questionner, conceptualiser, etc. ») ; je décide d’y aller à ce séminaire, après quelques recherches, tout de même, sur l’expéditeur l’IPP (http://www.pratiques-philosophiques.com/ ).
L’IPP donc est un institut de pratiques philosophiques crée par Oscar Brenifier et Isabelle Million. Cet institut, unique en son genre, propose des séminaires sur la philosophie pratique, des ateliers philo pour enfants, adolescents et adultes, des formations à la philosophie pratique, des conférences/débats et des consultations philosophiques.
En juin 2013, j’assiste pour ma part et pour la première fois à un séminaire de philosophie pratique. Le séminaire dure 2 jours (samedi et dimanche) et se déroule en banlieue parisienne (à Argenteuil).
A ce séminaire nous sommes une trentaine de personnes, hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, néophyte ou expert en philosophie. Beaucoup de professeurs en activités ou à la retraite sont présents (professeurs des écoles, professeurs en collège, lycée ou université) quelques étudiants en philosophie, quelques salariés du privé, quelques coachs … L’ambiance est conviviale, familiale même si certains paraissent distants, imbus de leur personne, arrogants …
Bref, pendant ces 2 jours donc, j’expérimente la philosophie pratique, j’apprends à poser des questions philosophiques (des questions générales et universelles, des questions ouvertes, des questions sans présupposés, des questions essentielles …), je réapprends à argumenter, j’essaie, tant bien que mal, d’identifier, de révéler ce qui est caché derrière chaque question, chaque argument, chaque discours, chaque comportement (ex : derrière la précipitation se cache l’inquiétude). Ici, on va à l’essentiel. L’illusion, le mensonge, le superflu, l’artificiel ne sont pas de mise.
Je reçois, nous recevons quelques piqures de rappel aussi : « Subir, c’est être passif. Etre passif, c’est perdre sa liberté. Perdre sa liberté, c’est perdre son être, son existence ; c’est devenir objet. Devenir objet, c’est subir ». Et voilà la boucle est bouclée. Chacun peut tranquillement continuer à tourner en rond, pendant que les puissants de ce monde (qui sont tout sauf passifs) s’approprient nos vies, le vivant, le bien commun ; détruisent la planète ; transforment les démocraties en oligarchie ; bafouent, sans avoir à bafouer, les droits humains (comment des humains transformés en objet via l’ultraconsumérisme et les médias notamment pourrait-il se battre pour leurs droits ?).
Bref, comme vous pouvez le constater, tout ceci a fait écho en moi et tout ceci s’est fait autour de différents ateliers philosophiques animés par différentes personnes.
Par Oscar Brenifier d’abord, docteur en philosophie, formateur, consultant, auteur et co-fondateur de l’Institut de Pratiques Philosophiques (IPP). La méthode d’Oscar est la même que celle utilisée par Socrate : la maïeutique (de maïeutiké, art de faire accoucher). Avec ses questions « Socratique » donc Oscar cherche à extraire, à faire sortir ce qui est caché, nié, falsifié, mensonger, incohérent … Avec ses questions, vous êtes mis à nu, mis à mort (pour mieux renaître) en public.
La méthode est ultra autoritaire, le raisonnement est binaire et logique (c’est oui ou non, les « peut-être », les « oui, mais », les « non mais », les « ça dépend » … n’ont pas leur place ici), la démarche est cruelle aussi parfois (Oscar a que faire de la bienveillance et d’autant plus si celle-ci fait obstacle à la vérité) mais la finalité est noble : aider l’autre à prendre conscience de son ignorance, de ses mensonges, de ses incohérences, de ses chaines pour s’en libérer.
A ce titre, toute personne souhaitant demeurer dans l’illusion, le mensonge, souhaitant conserver ses convictions, aimant tout contrôler, tout le temps, n’aimant pas se remettre en question, étant fragile psychologiquement a plutôt intérêt à s’abstenir.
Autre atelier, autre animateur. Un atelier sur l’argumentation, cette fois, animé par Isabelle Million, documentaliste, éditrice, philosophe-praticienne, formatrice, consultante, co-fondatrice de l’Institut de Pratiques Philosophiques et compagne d’Oscar Brenifier.
Ici, on doit associer un animal à une émotion. La consigne : « Choisir un animal associé à l’impatience et trouver un argument pour justifier votre choix ». Une personne propose le chien.
Son argument : « On peut observer une série de comportement manifestant un désir ardent ». L’animatrice demande si la personne a bien répondu à la question. Plusieurs personnes lèvent la main. Une personne est choisit pour répondre à la question.
Sa réponse : « Non la personne n’a pas répondu à la question car son argument est imprécis, indifférencié, et peut s’appliquer par conséquent à n’importe quel autre animal ». Une autre personne objecte en disant que « ce n’est pas parce que d’autres animaux peuvent correspondre à cette même caractéristique que le chien ne peut pas être qualifié d’impatient ».
Impressionnée par la qualité du raisonnement, de l’argumentation, je me dis que les militants, les citoyens engagés ou pas (moi comprise) auraient beaucoup à apprendre de la philosophie pratique. Car cette philosophie là, elle peut probablement nous aider à mieux penser pour mieux agir, nous aider à tenir notre ego, nos illusions, nos mensonges … à distance ; nous apprendre à être plus juste, plus vrai avec nous-mêmes et avec les autres ; nous aider à être plus clair, plus précis, plus objectif dans notre argumentation, etc, etc.
Autre atelier, autre méthode, autre animateur. Un atelier inspiré de la méthode Lipman : « La communauté de recherche philosophique ». L’animatrice, une étudiante en doctorat de philosophie organise l’espace pour son atelier. Elle place plusieurs chaises en cercle et laisse d’autres chaises (pour les observateurs) autour de ce cercle. Cercle dédié à la communauté de recherche.
L’animatrice écrit un mot différent sur plusieurs morceaux de papier, puis formule deux consignes différentes, l’une pour les observateurs, l’autre pour les participants (la communauté de recherche).
Consigne pour les observateurs : « Observer le mouvement de la pensée, observer comment la pensée s’élabore, se construit ».
Consigne pour les participants : « Piochez 2 mots par groupe de 2-3, puis poser une question philosophique contenant ces 2 mots. Vous avez 10 min. »
Chaque groupe constitué de 2-3 personnes propose alors sa question, puis chacun choisit par le vote la question sur laquelle il aimerait philosopher. La question retenue est : « La pensée rend-t-elle libre ? »
L’objectif de l’atelier : apprendre à penser avec, apprendre à penser ensemble, apprendre à produire une pensée collective.
Résultat assez déconcertant, bien que prévisible : la communauté de recherche n’a pas réussi à penser ensemble, à penser avec. Très rapidement la pensée s’est mise à tourner en rond, s’est enfermée, sclérosée. L’absence de cadre, de règles, d’objectif commun clair, admis par tous à amener les membres du groupe les plus malhonnêtes, les plus égocentriques les plus avides de reconnaissance ou de pouvoir, à prendre le pouvoir, empêchant ainsi le groupe de penser collectivement.
Conclusion, une méthode plutôt démocratique, humaniste, idéaliste (présuppose que les membres du groupe savent tous s’autogérer, veulent tous œuvrer dans le même sens, sont tous prêts à mettre leur ego de côté pour l’intérêt général …) peut sans cadre, sans règle déboucher sur une situation, un système tyrannique. Alors qu’une méthode ultra autoritaire voire tyrannique à la base (celle d’Oscar Brenifier) peut conduire à une autonomie des sujets et donc à un système plus démocratique. Voilà ce que j’ai trouvé déconcertant.